3.05
La nuit tombait sur la cité du magma, même si l'obscurité ne s'étendait jamais réellement sur cette métropole perpétuellement nimbée d'une luminescence orange et incandescente. La forge de l'adepte Zeth flamboyait, illuminée par les feux de la bataille, tandis que les forces du Mechanicum noir martelaient ses remparts de leurs missiles Vortex et faisaient tomber ses bastions extérieurs sous les coups de leurs canons Graviton. On aurait pu se croire devant une scène issue des représentations que les anciens pouvaient avoir du monde des enfers.
La cité était en train d'être démantelée avec une précision mécanique ; quelques heures encore et les forces qui attaquaient sous le commandement de l'ambassadeur Melgator parviendraient enfin à s'emparer de leur butin pour le fabricator général. Melgator lui-même observait le déroulement des opérations sous son tendelet noir, à l'entrée de la chaussée des Typhons.
La cité était condamnée. Il ne restait plus qu'un ordre à donner.
Deus Tempestus s'avançait à grands pas à travers les vestiges calcinés et tordus de ce qui avait été une usine d'armements. Accompagnés de petites explosions, des geysers de flammes jaillissaient encore parfois, sous les gigantesques enjambées du Warlord, mais Cavalerio n'y prêtait pas la moindre attention. Ces petites manifestations triviales n'avaient aucune signification pour un être de son envergure. Seule l'armée des skitarii Tempestus d'Aeschman qui marchait juste derrière ses Titans avait à se préoccuper de ce genre de détails.
Toutes les forces de la Legio Tempestus étaient sorties de la cité du magma. Leurs armures bleu de cobalt et leurs bannières resplendissaient glorieusement contre le champ du ciel menaçant et le paysage de ruines noircies par le feu qu'ils traversaient majestueusement.
Marchant en tête, au centre, Deus Tempestus prit position derrière un enchevêtrement de colonnes et de poutrelles métalliques tordues qui avait autrefois été la charpente de la plus importante usine de tôlerie de Tharsis, mais qui ressemblait à présent à une masse de fils de fer barbelés.
Le groupe du princeps Sharaq avait pris place à sa droite. Metallus Cebrenia menait les Warhounds, Astrus Lux et Raptoria. Les princeps Lamnos et Kasim, dans leurs deux plus petites machines, encadraient le grand Reaver. Cavalerio salua ses braves guerriers en levant son canon Volcano.
Immédiatement à sa gauche se tenait Tharsis Hastatus, le puissant Warlord de Suzak, tandis qu Arcadia Fortis, le Reaver de Mordant, se trouvait un peu plus loin en compagnie de Vulpus Rex, le fringant Warhound de Basek.
Cavalerio les salua également tandis qu'ils prenaient position dans les ruines des sous-ruches extérieures.
— À tous les princeps, réunion sur le multiface, émit-il.
L'une après l'autre, les images vacillantes de ses frères princeps apparurent devant ses yeux, et il fut enchanté de voir l'étincelle combative qui faisait briller leurs regards. Un instant durant, il eut la nostalgie du temps où il se battait ainsi qu'ils le faisaient, puis il sourit à cette idée car, en vérité, il ne pouvait souhaiter mieux que l'union totale, absolue, dont il jouissait à présent avec la puissante machine qu'était Deus Tempestus.
— Mes frères, commença-t-il, nous voici au plus terrible et au plus glorieux moment de notre vie. Je n'ai pas pour habitude de me laisser aller au sentimentalisme, mais s'il est un jour qui mérite un peu de grandiloquence, il me semble que c'est bien le jour de notre trépas.
Cavalerio vit quelques sourires empreints d'ironie sur les visages qui l'entouraient.
— Le credo de Tempestus nous enseigne que notre manière de mourir doit être au moins aussi importante que la manière dont nous avons choisi de mener notre vie. Aujourd'hui, nous allons montrer la vraie mesure de notre fureur à ces chiens de Mortis. Combattre à vos côtés durant toutes ces longues années a été un honneur pour moi, et c'est un immense privilège que de vous conduire dans notre dernière marche. Puisse la lumière de l'Omnimessie vous guider toujours.
Solennellement, ses frères saluèrent ses paroles d'un flamboiement binaire plein d'orgueil, mais ce fut le princeps Kasim qui donna une voix aux sentiments de la legio tout entière.
— Tout l'honneur fut pour nous, Seigneur des tempêtes.
Cavalerio sourit en apercevant le reflet du médaillon d'or à l'image du crâne et de l'engrenage qu'il avait donné à son fidèle lieutenant au lendemain des guerres du système d'Epsiloïd Binary.
— Bonne chasse à tous, dit-il en refermant la liaison.
Malgré les pertes subies par Mortis lors de leur premier engagement devant la cité du magma, le princeps Camulos ne pouvait ignorer une provocation aussi éhontée. L'auspex de Cavalerio s'emplit de signaux. Répondant à leur défi, les Mortis venaient à leur rencontre à travers les flammes et la fumée. Les machines adverses étaient suivies d'une immense armée de skitarii Mortis, des guerriers redoutables, au visage semblable à celui d'une tête de mort et à la réputation terrifiante.
Sous le commandement de l'indomptable Zem Aeschman, le héros couvert de balafres de la prise de Nemzal, les skitarii Tempestus avancèrent en direction de cet ennemi qui les surclassait en nombre, à quatre contre un au moins. Il fallait un immense courage pour mener bataille à bord d'un Titan, mais marcher sur un champ de bataille au beau milieu d'un affrontement entre ces colossales machines exigeait une intrépidité dont seuls étaient capables ces soldats génétiquement et mécaniquement améliorés.
— Je reçois de nombreux signaux, annonça le sensori Palus.
Cavalerio accusa réception des données intrachargées, repoussant toute pensée au sujet des skitarii d'Aeschman. La forme colossale d'Aquila Ignis avait pris la tête des Titans de Mortis, et trois Warlords corrompus marchaient en ligne devant lui, formant un écran de protection. Sur chaque flanc, deux Reavers progressaient suivant une large trajectoire en courbe.
— Ils ont juste un Titan de plus que nous, déclara Cavalerio. Pas si mal, non ?
— Oui, mon princeps, répondit le moderati Kuyper. C'est juste dommage qu'ils disposent d'une puissance de feu tellement supérieure à la nôtre.
Cavalerio observa la manière dont les Mortis se déployaient.
— Ils sont très prudents. Ils n'osent pas s'éloigner de leur grand frère.
— Comment les blâmer ?
— Ils ont peur de nous, reprit Cavalerio. Ils se souviennent de la volée que nous leur avons infligée lors de la première embuscade, et ils ont peur que nous n'ayons une petite surprise du même genre dans notre manche.
— J'aimerais tellement que ce soit le cas, Seigneur des tempêtes, marmotta Kuyper.
Cavalerio sourit dans sa cuve amniotique. Un filet de bulles monta paresseusement de ses lèvres.
— Et qui te dit que je n'ai rien en réserve ? répliqua-t-il. À tous les princeps, au pas de charge !
De l'autre côté de la cité du magma, alors qu'une marée de skitarii hurlants et de protectors horriblement dégénérés se jetait contre la porte de Vulkan, un blizzard de projectiles faucha les attaquants les plus proches de l'entrée. Avant que les forces de Melgator ne parviennent à se regrouper pour se relancer à l'assaut, la grande porte s'ouvrit, et les chevaliers de Taranis firent leur apparition sous leur étendard d'azur frappé de la roue et de l'éclair.
Le seigneur Verticorda était à la tête de ses troupes aux commandes du noble Ares Lictor, resplendissant dans la lumière. La blessure qu'il avait reçue à la poitrine avait été réparée depuis sa dernière glorieuse sortie. Aux côtés de Verticorda venait le seigneur Caturix qui menait le majestueux Gladius Fulmen à l'armure fièrement couturée des cicatrices de toutes ses batailles.
Derrière eux venaient les neuf derniers Chevaliers de l'ordre. Leurs armures avaient été réparées et lustrées, si bien qu'elles luisaient comme si elles étaient neuves. Pour leur dernière charge, les mécaniciens de la cité du magma avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir pour qu'ils soient aussi magnifiques que possible.
Les chevaliers avaient adopté une formation en pointe de flèche, avec Verticorda et Caturix formant le sommet de la pointe, et ils plongèrent dans la masse ennemie, crachant la mort de tous leurs canons. Ébranlée par la canonnade immédiatement suivie de l'attaque des Chevaliers, la première ligne du Mechanicum noir se débanda lorsqu'ils se ruèrent sur les survivants abasourdis comme des géants devant lesquels s'éparpillent des enfants affolés.
Les rangs des skitarii et des serviteurs corrompus furent hachés par les décharges de turbolaser rugissantes et la tempête de balles explosives déchaînée par les Chevaliers qui se frayaient un chemin sur la chaussée des Typhons. À chaque seconde, des centaines d'ennemis tombaient, et ils les piétinaient à mesure de leur progression. Ils se frayèrent ainsi un sanglant chemin tout le long de la grande avenue. Verticorda abattait ses ennemis avec une précision méthodique tandis que Caturix s'abandonnait à la furie du massacre.
Néanmoins, malgré la soudaineté de l'attaque, les forces de Melgator se regroupèrent avec une rapidité digne d'éloges, et ses unités blindées se ruèrent à la rencontre des Chevaliers. Sans se préoccuper de leurs propres troupes, les canons ennemis commencèrent à arroser l'avenue. De vastes cratères apparurent dans la chaussée. Grâce à leur rapidité et à la férocité de leur charge, la plupart des Chevaliers échappèrent au bombardement, mais deux d'entre eux, empêtrés dans l'amoncellement de débris et de cadavres qui encombrait l'avenue, ne purent échapper à une salve de bombes meurtrières et furent réduits en miettes.
Un autre fut frappé de plein fouet par le tir d'un fusil expérimental récupéré dans les ruines du tombeau de l'adepte Ulterimus, au-dessous de Zephyria Tholus. Cette arme avait été chargée d'une énergie impie dans les cryptes de Moravec. Le rayon de lumière noire qui en jaillit traversa le champ énergétique du Chevalier de part en part. Celui-ci se trouva environné de flammes sombres qui firent instantanément fondre son armure. Les hurlements d'agonie de son pilote résonnèrent sur le multiface, et Verticorda le vit qui balayait une horde de fantassins ennemis avant de plonger dans le lac de magma en les entraînant avec lui.
Plus les secondes s'écoulaient, plus les chevaliers de Taranis s'éloignaient de la cité du magma, broyant et massacrant les ennemis de Zeth avec une habileté et une grâce incomparables. Il ne s'agissait pas d'une charge aveugle et indisciplinée mais d'une démonstration d'habileté martiale menée par de nobles guerriers exerçant leur art du combat de la manière la plus sublime qui se puisse imaginer.
Déjà, ils se trouvaient à plus de deux kilomètres de la porte, et leur sillage n'était qu'un champ d'ennemis mourants ou déjà morts. Alors qu'ils venaient de gagner quatre cents mètres de plus, un nouveau Chevalier trépassa, les jambes sectionnées par l'abominable arme d'Ulterimus, et il disparut sous une marée de skitarii mutants qui bondirent sur sa carapace en ricanant pour le déchiqueter.
Caturix se tourna vers les grappes de skitarii et fit feu, les décrochant du Chevalier abattu d'une série de rafales dévastatrices. Son écuyer était déjà mort mais, refusant de laisser les infâmes créatures se ruer sur lui et le démanteler comme des charognards, il continua à tirer jusqu'à rompre le confinement de son réacteur nucléaire. Le Chevalier disparut dans une éblouissante boule de plasma.
Il ne restait plus que cinq machines avec Verticorda et Caturix. Leur charge avait été dévastatrice, mais ils commençaient à ralentir. La chaussée était de plus en plus encombrée par les corps, et des régiments entiers d'artilleurs concentraient à présent leurs tirs sur eux dans l'espoir de les arrêter.
Sans se laisser décourager, Verticorda et Caturix, si différents par le tempérament mais tout aussi valeureux l'un que l'autre, poussèrent en avant, bien décidé à atteindre leur but à présent qu'il était en vue : le tendelet noir surmonté de l'étendard de l'ambassadeur Melgator.
Aux commandes de Raptoria, le princeps Kasim s'élança à travers les ruines des silos d'Arsia et pilonna furieusement l'un des Reavers qui flanquait le groupe ennemi. Les boucliers de l'imposant Titan absorbèrent les impacts des tirs de son adversaire plus petit. Il fit pivoter ses canons en direction de l'amas de ruines métalliques.
Une tempête de shrapnels et d'explosions déchiqueta l'un des silos effondrés, mais Raptoria avait déjà filé à travers les amoncellements de gravats pour trouver un nouvel angle de tir. Tirant parti de la moindre couverture possible et exploitant son talent naturel pour le déplacement en terrain dense et difficile, Kasim se débrouillait pour avoir toujours une longueur d'avance sur l'ennemi, bondissant à découvert de manière imprévisible pour mitrailler le Reaver, plus lourd et malhabile, avant de disparaître de nouveau derrière les décombres des silos.
Les Warlords et l'Imperator se rapprochaient. L'un des Reavers se détourna de sa trajectoire et pénétra dans les ruines en feu, espérant débusquer Kasim. Il ne voulait pas laisser un prédateur se glisser à l'arrière de leur ligne d'attaque, même si le prédateur en question n'était qu'un Warhound, totalement inférieur en termes de puissance de feu.
De son énorme masse, il pulvérisa plusieurs arches d'acier qui, peu de temps auparavant, avaient vu passer des milliers d'ouvriers, et piétina des ateliers qui avaient produit des armes et des munitions qui avaient servi à la pacification de mondes entiers de l'autre côté de la galaxie. Immense, il dépassa les restes disloqués de machines à moitié fondues et les squelettes calcinés des victimes mortes dans l'effondrement du complexe industriel.
Ses boucliers crachaient des étincelles et des arcs d'énergie piaulants tandis qu'il se frayait un chemin à coups de poings et de pieds à travers l'usine, à la recherche de sa proie. Ses augméteurs gémissaient un flot ininterrompu de code chaotique strident, et sa trompe de guerre lâcha un barrissement qui résonna étrangement entre les parois encore debout.
Kasim surgit de sa cachette. Le bleu cobalt de son armure contrastait vivement contre un mur noirci de fumée.
Le Reaver le vit aussitôt, et la partie supérieure de son torse pivota pour mieux le viser. Un ouragan de projectiles pulvérisa le mur et rebondit dans une pluie d'étincelles contre les boucliers de Raptoria.
À peine le Reaver avait-il ouvert le feu que la silhouette vulpine d'Astrus Lux se glissa hors des ombres d'un derrick à moitié affaissé et bondit dans le dos exposé du Reaver, crachant les flammes de tous ses canons. Concentrant son tir à l'endroit où les tourbillons des décharges d'énergie étaient les plus importants, le princeps Lamnos pilonna furieusement les générateurs de boucliers du Reaver.
Se rendant compte de la situation périlleuse dans laquelle il se trouvait, le Reaver essaya de pivoter, mais Lamnos était plus rapide que lui. Il déplaça sa machine latéralement à travers l'enchevêtrement d'appareillages broyés et de vestiges de maçonnerie effondrée, tout en luttant pour maintenir sa visée en manœuvrant son engin sur ce terrain instable. Il parvint à concentrer son tir, mais au prix de sa sécurité.
Cependant, son obstination s'avéra payante. La partie postérieure de boucliers du Reaver explosa dans une énorme fleur de feu. Le mugissement de défi de sa trompe de guerre changea de ton et se métamorphosa en une douloureuse lamentation lorsque Raptoria sauta par-dessus une chaîne d'assemblage défoncée et le mitrailla à bout portant.
Sans la protection de ses boucliers, le Reaver était horriblement exposé, et les tirs de Kasim lui infligèrent des dommages terribles. Tout comme Lamnos, Kasim continua à tirer sans discontinuer. Il le pilonna d'une puissante salve de turbolaser dans la région des hanches. Des gouttes de métal fondu coulèrent des jointures du Reaver qui cédèrent brutalement dans une détonation. Raptoria et Astrus Lux bondirent en arrière pour éviter la chute de leur adversaire, mortellement blessé.
Le Reaver bascula sur le côté, lentement, majestueusement, écrasant ce qui restait du silo sous son poids énorme, et il vola en éclats sous la force du choc. Raptoria se rapprocha de lui, se baissant près du sol et se dissimulant derrière le nuage de cendres et de fumée soulevé par son effondrement.
Astrus Lux recula dans l'intention de contourner le Titan abattu, mais Lamnos était resté trop longtemps à découvert avec son Warhound. Le compagnon du Reaver avait eu le temps d'élaborer une solution de tir.
Une série de missiles le percutèrent violemment, le jetant au sol, l'écrasant, martelant ses boucliers jusqu'à ce qu'ils cèdent dans une déflagration qui l'ébranla violemment. Privé de ses boucliers et les jambes broyées par les impacts, Astrus Lux essaya de ramper à couvert comme un oiseau blessé.
Le second Reaver ne voulait courir aucun risque. Il s'avança au milieu des ruines en flammes et piétina Astrus Lux, l'écrasant sous son poids.
Tempestus venait de subir sa première perte.
Sur le flanc gauche de la Legio Tempestus, de l'autre côté des terrains d'atterrissage criblés de cratères de l'astroport, où Deus Tempestus et Tharsis Hastatus étaient engagés dans un affrontement contre les Warlords qui formaient l'avant-garde d'Aquila Ignis, Mordant poussa Arcadia Fortis en avant. Il avait beau se trouver aux commandes d'un Reaver, il se déplaçait à la même allure que Vulpus Rex, le Warhound de son ami Basek.
Ils avaient décidé d'intercepter les deux Reavers qui tenaient le flanc. Les deux machines ennemies étaient abominables à voir, avec les bannières ensanglantées et les sinistres ornements qui pendaient de leurs canons. Au lieu de se diriger directement vers les ennemis, Arcadia Fortis décrivit une large courbe qui les éloignait à chaque pas de la protection du grand Imperator. Des rafales de projectiles sillonnaient les airs entre les adversaires, et les deux princeps de Tempestus concentraient leurs tirs sur le Reaver le plus proche de la partie centrale de la ligne de bataille. À l'endroit où ils se trouvaient, loin de la cité du magma, ils ne disposaient pas des mêmes couvertures que celles qu'avait pu exploiter Raptoria, et Basek n'avait pas trop de toute son habileté pour éviter les projectiles qui lui étaient destinés. La distance se réduisait entre les Titans Tempestus et Mortis et, à chaque pas, les attaques devenaient plus féroces.
Étant donné les inégalités de tailles et de forces de frappe, il ne faudrait pas longtemps avant que la brutale arithmétique de la guerre ne tourne à la défaveur des Titans de Tempestus. Les Titans de Mortis le savaient parfaitement et, sûrs de leur triomphe, ils se mirent à émettre des mugissements de trompes discordants, oubliant qu'à la guerre, comme en toutes choses, certaines variables peuvent bouleverser les plus prévisibles des situations.
Vulpus Rex et Arcadia Fortis étaient tous deux commandés par des hommes dont le cœur n'avait jamais cessé d'être animé par l'instinct du chasseur. Totalement conscients de l'inévitable issue de ce combat, ils s'y étaient engagés dans la ferme intention d'emporter dans la mort autant de Titans de Mortis que possible.
Les boucliers du Reaver sur lequel s'étaient concentrés les deux Tempestus s'éteignirent soudain après un bref clignotement, sans exploser, épuisés par le tir de barrage auquel ils avaient été soumis. Une seconde plus tard, le Warlord Tharsis Hastatus, qui attendait justement son heure pour agir, déchaînait toute la fureur de son canon Volcano contre le Reaver sans protection. Un rayon d'énergie nucléaire incandescente traversa le cockpit du Reaver, faisant exploser toute la partie supérieure du Titan dans une spectaculaire déflagration qui projeta des fragments de blindage à plus de six kilomètres.
Le tonitruant trépas du Reaver avait été rendu possible par une furieuse concentration de tirs. Hélas, cette manœuvre avait permis au second Reaver de les approcher sans difficulté. Ses canons avaient pratiquement amené les boucliers d'Arcadia Fortis au point de rupture, et il ne lui fallut qu'un moment pour terminer le travail et les faire entrer en surcharge.
Par un extraordinaire coup du sort, l'un de ses tirs dirigés sur un générateur de bouclier fit sauter les relais connectés au réseau neuronal du Titan. Le choc en retour de l'agonie du Titan brûla le cortex du princeps Mordant aussi sûrement que s'il avait été frappé d'un boit en pleine tête. Arcadia Fortis mourut avec lui, et le puissant Titan s'immobilisa, impuissant, totalement à la merci de ses ennemis.
Basek essaya de fuir le Reaver hurlant. Ses boucliers étaient affaiblis et ce qui lui restait de munitions ne lui serait pas d'une grande utilité face à un ennemi aussi imposant. Vulpus Rex s'élança, aussi gracieux que rapide, mais il n'avait aucune chance face à un tir de barrage systématique. Les missiles s'écrasèrent autour de lui, creusant d'énormes cratères et projetant des geysers de débris dans les airs.
Ses auspex de repérage terrain étaient brouillés par les interférences du code corrompu qui saturait l'atmosphère, et Vulpus Rex trébucha dans un cratère. Ses jambes cédèrent sous son poids, il tomba lourdement, et l'un de ses bras d'arme se brisa sous le choc. Pris au piège, sans échappatoire possible, le princeps Basek tenta de s'éjecter, mais une brutale volée de projectiles mit en pièces sa machine qui se débattait pour se relever, le tuant ainsi que tout son équipage dans un tonnerre d'explosions. Par bonheur, cela fut rapide.
C'est alors que le ciel sembla s'ouvrir en deux et que l'obscurité montante fut chassée par l'étincelant coucher de soleil d'une lointaine explosion atomique qui illumina le ciel d'un flamboiement rouge et orangé.
à la vue de l'éclatante boule de feu, l'adepte Koriel Zeth ferma les yeux. Elle savait exactement ce qui venait de se passer, et la portion encore humaine de sa personne s'emplit d'une immense tristesse. Elle orienta les écrans de visualisation de la chambre de Vesta vers le nord et augmenta le grossissement au maximum, sachant parfaitement ce qu'elle verrait et redoutant de le voir.
Tout le long de l'alignement des réacteurs d'Ipluvien Maximal, en bordure d'Ulysses Fossae, un chapelet de champignons incandescents montait vers le ciel. Une onde de choc d'une puissance inouïe avait balayé les régions environnantes, anéantissant toute vie sur des centaines de kilomètres. La tornade de flammes qui s'ensuivit allait transformer le désert martien en une étendue de verre irradié dont la radioactivité mettrait des dizaines de milliers d'années à s'éteindre.
—Adieu, Ipluvien, murmura Zeth avant de reporter son attention sur le déroulement du conflit autour de sa propre forge.
Ses écrans de métal poli lui dévoilaient des scènes de massacre d'une telle sauvagerie qu'elle avait peine à croire que ce qu'elle voyait se déroulait sur Mars.
La charge des chevaliers de Taranis avait tracé un sanglant sillon dans la horde des attaquants rassemblés sur la chaussée des Typhons, mais leur nombre diminuait rapidement. Deux autres chevaliers étaient tombés. Il ne restait plus que Verticorda, Caturix et trois de leurs guerriers.
Ils se rapprochaient lentement du tendelet noir de Melgator, mais elle ignorait s'ils y parviendraient vivants, et une fois là, au cœur de l'armée ennemie, toute retraite leur serait coupée. Quant à la Legio Tempestus, elle menait un combat qui resterait dans les annales de leur histoire comme l'un de leurs plus nobles exploits, à condition que l'un d'eux survive pour pouvoir en conserver le récit, et ses propres guerriers avaient combattu avec une ardeur inespérée.
Les sbires de Kelbor-Hal devraient subir de lourdes pertes pour s'emparer de la cité du magma, mais ils la prendraient, c'était certain, à moins que Zeth n'agisse tout de suite. Et ils ne s'empareraient pas seulement de sa cité. Mars tout entière ne tarderait pas à tomber entre les griffes de la clique du fabricator général.
Le moment était venu de suivre le noble chemin d'Ipluvien Maximal.
Elle se détourna de ses écrans et se dirigea vers le large puits qui descendait vers les profondeurs de sa forge, savourant la chaleur et les vagues d'énergie ondoyantes qui montaient du magma, bien loin au-dessous.
Vêtu d'une ample robe à capuchon, un serviteur d'allure primitive la suivit. Son aspect rudimentaire contrastait étrangement avec la sophistication des équipements de la chambre. Le cyborg anonyme vint se placer à côté d'elle, et une douzaine de minces colonnes argentées surgirent du sol autour du puits.
Chacune de ces colonnes était couronnée d'un ensemble de prises arrangées de manière complexe. Zeth se plaça entre les colonnes, tendit les mains et les glissa dans les lecteurs biométriques qui se trouvaient au sommet de deux de ces colonnes, tout en extrayant une série de mécadendrites dissimulées le long de sa colonne vertébrale.
Les dendrites ondulèrent dans les airs et se branchèrent sur les colonnes restantes. Zeth commença à extracharger une série de macro-instructions dans le réseau noosphérique de sa cité. Devant elle, un plan en coupe de sa forge apparut en scintillant dans les airs, invisible à toute personne non dotée dune modification noosphérique.
— J'espère que Kane a réussi à sauver au moins une partie de son réseau noosphérique de Mondus Occulum, murmura-t-elle pour elle-même. Ce serait vraiment une honte que ma technologie soit perdue à cause de cette sordide guerre civile.
— Même devant votre inévitable destruction, vous n'avez rien perdu de votre vanité, souffla une voix derrière elle.
Zeth se retourna, à peine surprise de voir la silhouette sinueuse de la tueuse de Melgator se glisser dans sa direction.
— Je me doutais que je vous reverrais un jour ou l'autre, lui lança-t-elle.
— La sororité cydonienne n'oublie jamais ceux qui ont l'audace de l'insulter, répliqua Remiare.
— Je vous demanderais bien comment vous êtes entrée, mais j'ai le sentiment que cela ne me servirait pas à grand-chose.
— Non, acquiesça Remiare. Pas le moins du monde.
Elle glissa au-dessus du sol de la chambre, se rapprochant lentement de Zeth, tout en tirant une paire de pistolets dorés d'une facture exquise des fourreaux qu'elle portait en haut des cuisses.
— Mon employeur aimerait que cette cité soit encore intacte lorsqu'elle sera capturée, dit-elle en intrachargeant la carte noosphérique qui flottait devant les yeux de Zeth. Vous allez devoir arrêter ce que vous êtes en train de faire.
— Il n'en est pas question, riposta Zeth.
— Ce n'était pas une requête, dit simplement Remiare en tirant deux balles dans la poitrine de Zeth.
Le seigneur commandant Verticorda ressentait la souffrance d'Ares Lictor à travers le multiface. Il avait subi une douzaine de blessures, il n'avait plus de boucliers, et sa carapace était fissurée en plusieurs endroits. Il ne sentait plus son bras gauche, et l'articulation de son genou, celui qui avait été soigné deux siècles auparavant par l'imposition des mains de l'Empereur, était traversée de douleurs psychostigmatiques.
Tout autour de lui, les légions de l'ennemi se pressaient, nimbées d'une aura rougeâtre. Les balles rebondissaient en tintant sur ses plaques de blindage qui se disloquaient peu à peu. Pourtant, sa pire crainte n'était pas de mourir, mais de voir une machine qui avait été touchée par la main de l'Omnimessie tomber entre les mains de ses ennemis.
À sa gauche, sur l'une des plateformes latérales suspendues sur le côté de la grande avenue, il aperçut un groupe de skitarii en robes sombres en train de pointer une batterie de quatre canons dans sa direction. Tendant le bras droit, il laissa Ares Lictor viser. Il sentit le frisson de l'acquisition courir le long de son bras et fit feu. Un ouragan de projectiles anéantit la plateforme et transforma les canons et leurs servants en un nuage de débris de chair et de métal.
À ses côtés, Caturix se frayait un chemin dans la masse ennemie, écrasant, tailladant de sa lance laser, tirant de tous ses canons, protégé par sa fureur guerrière comme Verticorda l'était par sa suprême habileté. Les trois autres survivants étaient les meilleurs de l'ordre, les guerriers les plus sublimes qu'il ait jamais eus à ses côtés : Yelsic, Agamon et le vieux Stator.
Un peu plus loin, Verticorda apercevait le tendelet sous lequel l'architecte de cette confrontation observait les honorables chevaliers de Taranis, venus mourir sous ses yeux pour sa distraction. La bannière de Melgator, une chaîne d'or sur un champ cramoisi, flottait au-dessus du tendelet et, en dépit de la meute de guerriers et de machines noircies qui se tenaient entre lui et son ennemi, Verticorda se jura qu'il ne se laisserait pas abattre tant que cet ignoble individu vivrait.
Une nouvelle canonnade s'abattit sur eux, et Agamon succomba, ses boucliers anéantis par le sacrifice de dizaines de commandos-suicides qui s'étaient rués sur lui pour faire sauter des charges explosives contre son armure.
Le vieux Stator le suivit de près. Le précepteur se lança dans une charge héroïque en direction du tendelet noir, étendant ses deux lames de chaque côté de lui, à bout de bras, ouvrant glorieusement le passage pour les maîtres de son ordre. Comme il courait tête baissée, un projectile le percuta de plein fouet, en plein sur le cockpit, et le vieux héros s'effondra.
Les trois Chevaliers restants s'engouffrèrent furieusement dans la brèche ouverte par Stator au prix de sa vie. Verticorda moissonnait ses ennemis, tuant sans relâche, soutenu par les spectres de tous les seigneurs commandants qui avaient piloté Ares Lictor avant lui.
À côté de lui, Caturix progressait hardiment malgré l'état de sa monture qui était sur le point de s'effondrer. De l'autre côté, Yelsic, qui faisait partie de ses compagnons depuis le jour où l'Empereur avait pour la première fois posé le pied sur les sables martiens à Olympus Mons, portait toujours fièrement la bannière de Taranis.
— Ce bâtard essaie de s'enfuir ! s'écria Verticorda en voyant bouger l'étendard à la chaîne dorée.
— Qu'espérais-tu d'autre ? répliqua Caturix. Ce n'est pas un guerrier. Ce n'est qu'un couard !
— Il ne nous échappera pas ! gronda Yelsic.
— Bien dit ! acquiesça Caturix.
Ares Lictor trembla sous une série de nouveaux impacts, et Verticorda poussa un cri en sentant une vague de souffrance brûlante balayer son corps vieillissant. Pourtant, tandis que de nouvelles meurtrissures marbraient sa chair, il sentit une puissance surgie du multiface envahir son corps pour le soutenir, une force héritée des temps anciens, un héritage d'héroïsme et d'honneur qui remontait à la naissance de sa monture.
Désireux de l'accompagner dans ses derniers instants, les esprits des anciens maîtres d'Ares Lictor étaient venus fortifier son âme.
À travers la verrière du cockpit, il ne voyait plus que ses ennemis, avec leurs mufles contrefaits et démoniaques, illuminés par la lueur rougeoyante du magma. C'était, véritablement, une chevauchée vers le cœur de l'enfer, et tout autour de lui se pressaient ses infâmes habitants.
— Le voilà ! rugit Caturix.
Verticorda aperçut le palanquin du Melgator, entouré d'une cohorte de skitarii à l'allure d'ogres bestiaux, armés d'armes à rayonnement à l'aspect redoutable et de pyrolances.
Les trois Chevaliers enfoncèrent le cordon de guerriers ennemis qui leur barrait l'accès à la suite de Melgator. Leurs armures étaient tailladées et crachaient des flammes et des fluides vitaux. Aucun d'eux ne se relèverait de ce dernier combat, mais en rendant leur dernier soupir, ils auraient au moins éliminé ce dernier ennemi.
Verticorda faucha une douzaine de skitarii. Une souffrance atroce le traversa lorsque plusieurs rayons de lumière tranchèrent à travers les plaques qui protégeaient son bras droit comme si elles n'avaient pas plus de substance qu'un rideau de fumée. Il hurla de douleur, et son corps tout entier se tordit, saisi de spasmes, lorsqu'ils lui sectionnèrent le bras.
Sa gorge s'emplit de sang, et le monde devint gris autour de lui, mais la présence de ses prédécesseurs se fit palpable autour de lui. Leur antique fureur et leur bravoure n'avaient diminué en rien au fil du temps, et ils lui insufflèrent la volonté de continuer. Hélas, malgré la force que lui apportait le multiface, Verticorda sentait sa vie le quitter goutte à goutte.
La monture de Yelsic fut frappée de plein fouet par une salve de pyrolances ; elles l'avaient atteint en une douzaine d'endroits différents, et sa carapace flamboya, environnée de flammes pourpres et crépitantes. Plusieurs impacts de grenades l'ébranlèrent, faisant éclater son torse, puis la moitié inférieure du Chevalier dérapa dans la meute de skitarii hurlants et explosa.
— En avant ! hurla Caturix en se ruant dans la trouée laissée par le spectaculaire trépas de Yelsic.
Soutenu par un instinct affiné durant des siècles, Verticorda suivit Caturix, et ils traversèrent la masse des skitarii qui s'éparpillèrent devant eux. Un peu plus loin, la silhouette en robe de Melgator fouettait les porteurs de son palanquin à coups redoublés afin qu'ils l'éloignent au plus vite des deux Chevaliers déchaînés.
— Meurs, foudroyé par Taranis ! rugit Verticorda, utilisant ses dernières forces.
Ils ouvrirent le feu ensemble. Leurs mitrailleuses rugirent, dessinant une trajectoire explosive et dévastatrice dans le sol et les rangs des skitarii, droit vers Melgator.
Une bulle de lumière d'un bleu chatoyant se matérialisa soudain autour de l'ambassadeur. C'était un bouclier personnel, mais un tel dispositif était conçu pour protéger son porteur durant un bref laps de temps et contre les armes d'un assassin. Pas contre des armes aussi redoutables que celles des Chevaliers.
En quelques secondes, le bouclier surchargé explosa, et la déflagration catapulta Melgator dans les airs. Son corps n'eut même pas le temps de retomber. Les balles des Chevaliers le désintégrèrent en plein vol.
Avec l'anéantissement de Melgator, Verticorda sentit la présence des anciens maîtres de sa monture s'amenuiser et se retirer dans le multiface. La douleur revint, décuplée, et il hurla sous les nouveaux impacts qui frappaient sa carapace.
Un missile fit exploser son genou, celui sur lequel s'était posée la main de l'Empereur, et Ares Lictor s'effondra. Sa carapace s'écrasa lourdement sur le sol, et son cockpit éclata en mille morceaux. Verticorda sentit le goût du sang sur sa langue, mais la douleur l'avait quitté. Le multiface s'ouvrait devant lui.
Son dernier souvenir conscient fut le rugissement de Caturix, criant son défi à la face du monde jusqu'au dernier instant.
Verticorda mourut avec un sourire sur les lèvres, et l'esprit d'Ares Lictor l'accueillit chaleureusement en son sein.